Georges Félix
Expert en agro-écologie, co-fondateur de Cultivate !
Georges Félix est Portoricain et a aussi des origines françaises. Depuis 15 ans, d’un bout à l’autre du monde, il sème les graines de la souveraineté alimentaire, en enseignant, diffusant et promouvant la pratique de l’agroécologie.
Il a étudié la biologie à Paris, l’agronomie à Bordeaux et a récemment terminé un doctorat en écologie des systèmes agricoles à l’Université de Wageningen, aux Pays-Bas, en parallèle d’un travail de terrain approfondi au Burkina Faso.
Georges est aujourd’hui enseignant-chercheur, à l’université de Conventry, en Angleterre et cofondateur du collectif Cultivate !
Il nous raconte son parcours et les projets qu’il mène, à petite et grande échelle, en faveur de l’agroécologie.
Interview réalisée le 5 avril 2021
Propos recueillis par Estelle Mure
Pour bien comprendre ton domaine d’expertise, il est important de définir les termes. Quelles sont les valeurs fondamentales véhiculées par l’agro-écologie ?
L’agroécologie, ce n’est pas tellement des valeurs mais plutôt une perspective de l’agriculture. Que ce soient dans les milieux industriels ou dans le secteur bio, on essaye d’observer quelques principes de gestion des resources.
On regarde la diversité biologique ; la diversité culturelle aussi ; la protection des sols ; les synergies, c’est à-dire comment maximiser l’espace ; on regarde le recyclage des nutriments, des ressources, le recyclage des connaissances également. On regarde aussi l’efficience, la productivité puisque c’est le principal moteur d’une entreprise agricole.
El Carmen del Viboral, Antioquia, Colombia
On regarde ces cinq principes là de façon globale et spécifique. C’est la perspective scientifique.
Mais il y a aussi la pratique et la politique : les mouvements sociaux, comment les agriculteurs et les acteurs du monde rural s’organisent, leur plaidoyer pour obtenir plus de droits et protéger leurs droits à produire des aliments sains.
Tout ça, c’est dans une perspective de protection de l’environnement : donc le moins de pesticides possibles, le moins de produits nuisibles pour l’environnement et la santé humaine. Mais ce n’est pas parce que je suis agroécologue que je ne travaille pas avec des agriculteurs traditionnels ou industriels, l’idée étant de les accompagner pour produire mieux et produire plus.
Quelle est la différence entre permaculture, agro-écologie et agriculture biologique ?
Ça c’est une bonne question, elle revient souvent. Ce n’est pas tellement les différences mais plutôt les points communs qui sont importants. Ce sont des écoles de pensée différentes. C’est un peu la même chose et en même temps il y a des nuances.
La permaculture par exemple a des pratiques particulières qui incluent des éléments culturels par principe comme celui de maintenir la vie des communautés florissantes.
Les principes sont souvent les mêmes mais la façon de l’appliquer change. Mais je pense que les principes que j’ai énoncé avant : la diversité, l’efficience, tout ça, ça reste les points communs entre agriculture naturelle, biodynamie et même agriculture biologique.
Ta spécialité est l’analyse et la co-conception de systèmes agroforestiers tropicaux. Tu peux nous expliquer en quoi ça consiste ?
C’est l’accompagnement des agriculteurs pour reconcevoir ou revisiter la façon dont on applique les principes de l’agroécologie.
C’est-à-dire : comment on peut introduire plus de diversité sans nuire à la productivité de l’agriculteur ? Comment est-ce qu’on peut choisir des espèces plus pérennes ? Pas seulement des cultures annuelles mais des espèces pérennes, sous différents formats : des haies, des arbres en plein champ, ou des arbres dans les prairies pour protéger les animaux du soleil.
L’idée, c’est d’accompagner et de bien comprendre les objectifs des personnes qui travaillent. En tant qu’agronomes, on pêche souvent à vouloir dire ce qu’il faut faire, plutôt qu’à écouter. Moi je suis plutôt dans l’optique d’écouter ce dont les personnes ont besoin pour concevoir ensemble des systèmes alternatifs où les intrants sont moins importants.
On travaille vers l’autonomie de l’exploitation plutôt que vers une dépendance. On cherche l’indépendance financière et l’indépendance des connaissances.
Tu enseignes à l’Université de Porto Rico, à l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, à l’ISARA, en France et à l’université de Conventry en Angleterre. Enseignes-tu et pratiques-tu l’agro-écologie de la même façon en Europe qu’à Porto-Rico ?
En agro-écologie, on fait bien la différence entre principes et pratiques. Les principes sont universels : diversité, synergie, recyclage, efficience… Maintenant, les pratiques sont très localisées. En Afrique par exemple, on va faire des choses différentes pour appliquer le principe de diversité que ce qu’on va faire à Porto-Rico, ou en Europe, en milieu tempéré. Cette nuance est très importante, c’est quelque chose que j’essaye toujours de bien transmettre.
Ce n’est pas parce que quelqu’un ne fait pas de paillage, qu’il n’est pas en train de faire de l’agroécologie. Peut-être qu’il y a d’autres principes qui sont sous jacents pour le recyclage des nutriments, comme le compostage, ou l’application de bio-remèdes. C’est très important et crucial de savoir quand on parle de principes et quand on parle de pratiques spécifiques locales.
Tu as travaillé en collaboration avec l’Organisation des Nations Unies, dans le cadre du Programme pour le développement et le Fonds pour l’environnement mondial, à Porto-Rico et en Afrique de l’Ouest.
Tu es aussi membre de SOCLA, la Latin America Agroecology Society. Quels sont les programmes mis en place par ces grandes organisations internationales en faveur de l’agro-écologie ?
Il y a pleins d’acteurs. Du côté des Nations Unies, j’ai fait un travail d’accompagnement à l’Ile maurice, en milieu tropical. C’était un programme pilote auprès de trois communautés qui veulent pratiquer l’agroécologie, tout en étant soutenu par le gouvernement. C’était très intéressant.
Calebasses, pamplemousses, Ile Maurice
La SOCLA, c’est plutôt un réseau d’acteurs et surtout de chercheurs qui travaillent en collaboration avec des agriculteurs dans leur pays. Tous les pays d’amérique latine sont représentés, les États-Unis aussi. C’est un réseau de chercheurs qui essaye de mettre en valeur les connaissances paysannes et les connaissances scientifiques issues de recherches expérimentales ou de bureau.
Je parlais en introduction de souveraineté alimentaire : Quel est l’impact social et économique de l’introduction de ces programmes et des méthodes de l’agro-écologie pour les populations locales ?
Ça dépend de qui implémente quoi et où. Ce qu’on recherche avec la souveraineté alimentaire, c’est une ligne de pensée politique de reconception des sytèmes alimentaires. L’idée est de réduire la dépendance vis à vis de l’extérieur, de redonner la confiance aux communautés pour choisir leur système alimentaire et arriver à produire un maximum d’aliments localement.
L’impact, ça dépend. Il y a des pays, comme le Brésil ou la Bolivie, qui développent des politiques publiques explicitement sur la souveraineté alimentaire. À Porto-Rico ou en Europe, il n’y a pas de lois sur la souveraineté alimentaire, mais au contraire une vraie dépendance aux supermarchés et aux imports de l’extérieur.
Les actions concrètes se situent plutôt au niveau local. Des petites expériences qui ne sont pas forcément documentées où les gens arrivent à produire leurs propres aliments et à décider de leur propre mode de vie. Je suis en Angleterre en ce moment, et même si il n’y a pas de lois sur la souveraineté alimentaire, il y a quand même des jardins communautaires, les « allotments ». Les gens arrivent à produire sur des petites parcelles une bonne quantité d’aliments avec pas mal de diversité.
C’est ça qu’on recherche : comment raviver les connaissances locales. Parce que les gens savent souvent comment faire ! Ça ne veut pas dire que tout le monde doit devenir agriculteur. Mais comment raviver ces connaissances tant pour se soigner que pour s’alimenter, et aussi comment cultiver le voisinage ? Je pense qu’il y a une bonne part de ça. De se remettre en lien avec nos voisins.
Le modèle peut-il être envisagé à grande échelle ? À l’échelle d’un pays par exemple ?
Ah oui ! Pourquoi pas ! Il y a toujours une critique de l’agriculture conventionnelle vers l’agroécologie qui dit qu’elle n’est pas assez productive, que ce n’est pas viable. Mais il suffit d’une expérience pour que ces attaques soient fausses. En réalité, il y a beaucoup d’expériences, de gens qui produisent de façon bio et écologique et ça suffit pour démentir les attaques.
Maintenant comment on peut faire pour mettre tout ça à l’échelle ? Là, il y a vraiment un travail de politique publique à faire. Il y a une question de volonté mais aussi de respect des connaissances locales. Et d’accompagnement.
Il y a beaucoup de ressources monétaires qui sont partis dans la recherche agricole type industrielle, mais il n’y a pas autant de financements sur la recherche bio, permaculture, etc. Il y a un décalage entre ce qu’on demande de l’agroécologie et l’investissement qui est fait.
En réalité, quand on y réfléchit, quand on dit agriculture alternative, en parlant du bio ou de l’agroécologie, en fait, l’alternatif, c’est ce qui est ancestral. Nos grands-parents fonctionnaient beaucoup de cette façon là : ils respectaient la diversité, ils utilisaient les ressources et le sol de façon beaucoup plus consicente et durable.
L’alternative à cette agriculture là, ancestrale, a été l’agriculture conventionnelle, la révolution verte : l’utilisation de pesticides, d’herbicides, les monocultures… C’est ça l’alternative qu’on nous a présenté et qui aujourd’hui se présente comme une fausse alternative. Même si on a réussi à produire un peu plus, la dégradation de l’environnement, des connaissances, des semences, a été beaucoup plus importante.
J’aime bien mettre ça en contexte. Nous ne sommes pas l’alternative, nous sommes là depuis très longtemps, et en réalité, c’est l’agriculture industrielle qui est l’alternative et qui a démontré ne pas être un très bon choix.
Après le passage de l’ouragan Maria à Porto Rico en 2017, tu t’es activement impliqué dans le processus de reconstruction du pays. Tu peux nous raconter comment ?
J’étais en train de terminer ma thèse et j’ai du la mettre en pause. Je suis parti huit mois à Porto-rico chez mes parents après l’ouragan. Il y a eu plein d’actions et il n’y a pas eu que moi évidemment. Il y a tout un réseau sur place de mouvements agroécologiques.
Moi je me suis engagé dans un projet qui m’a paru intéressant et utile à ce moment là : la « Guagua solidaria », la camionnette solidaire. C’était un petit projet qui n’existe plus, qui n’avait pas pour vocation de durer.
On avait un peu de financement pour acheter une camionnette, pour des passagers et des outils. On faisait le tour avec des bénévoles. On aidait le producteur ou la productrice à reconstruire quelque chose d’immédiat qui était nécessaire pour relancer la production. C’était un beau projet.
J’ai aussi essayé de documenter quelques expériences de reconstruction et ça a donné lieu à quelques articles.
Les ouragans, c’est assez commun, mais celui-là a été assez dévastateur. Toute l’île a souffert dans tous ses secteurs : l’électricité, l’infrastructrure, l’agriculture en particulier. Ce qu’on a vu c’est que la nature même a refleuri assez rapidement, dans les quelques semaines après l’évènement, mais ce sont les communautés qui ont un peu plus de mal à se reconstruire. Aujourd’hui, quand on parle d’ouragans, les gens commencent à trembler !
Ce qu’on essaye de faire, c’est de ne pas seulement répondre aux désastres mais aussi de construire des systèmes qui soient un peu plus résistants aux évènements extrêmes. En terme d’infrastructures par exemple, au lieu d’avoir des maisons uniquement en bois, essayer de combiner avec un peu de béton, vu la nature des évènements atmosphériques. En terme de fermes, avoir plus d’arbres et de protections.
Il y a une agricultrice qui a carrément planté des graines avant l’ouragan, et deux trois semaines après l’ouragan, il y avait déjà des plantes qui commencaient à repousser !
Il y a quelque chose d’important en terme de conception de systèmes là-bas : nos ancêtres les indigènes, les Tainos, utilisaient beaucoup de racines, de tubercules, pour manger. Ce sont ces cultures là qui ont résisté parce qu’elles sont sous terre. Toute la végétation au-dessus de la terre a été décimé mais tous les carbohydrates, les racines comme le manioc, le taro, les racines locales… ont résisté et ont permis de nourrir pas mal de gens. L’important est de voir ce qui a résisté et reconcevoir pour le futur des sytèmes plus résistants.
Ce qu’on a pu observer aussi, c’est que les agriculteurs bio, parce qu’ils ont plus de visibilité par rapport aux agriculteurs conventionnels, ont réussi à se remettre un peu plus rapidement. Le réseau sur place mais aussi la diaspora portoricaine, aux USA et en Europe voulait soutenir. Beaucoup de ressources ont été envoyées à Porto-Rico mais elles ont été données en priorité aux agriculteurs bio. Il y a pas mal de ressources qui sont arrivés dans ces réseaux là mais ça n’a pas été le cas dans le réseau de l’agriculture conventionnelle. Même s’il y a des mouvements, des réseaux, d’agriculteurs conventionnels, ils ne sont pas aussi visibles. Le fait qu’ils utlisent des pesticides etc, leur travail n’est pas valorisé de la même façon on va dire.
Tu es co-fondateur du collectif Cultivate ! Qui êtes-vous et quelles sont vos missions ?
Cultivate ! C’est un réseau de consultants indépendants, qu’on a créé aux Pays-Bas. On est de plusieurs nationalités et aussi de plusieurs sensibilités mais on travaille tous sur l’égroécologie, dans l’accompagnement de producteurs et surtout de mouvements sociaux. Dernièrement, on fait des consultances au niveau international, avec différentes ONG et organismes. C’est un collectif d’accompagnement sur les processus, pas tellement sur la pratique.
Qui sont vos bénéficiaires ? Accompagnez-vous aussi les particuliers ?
On accompagne surtout les politiques publiques sur les processus de valorisation des connaissances paysannes indigènes. On travaille par exemple à Rome avec la FAO, auprès de petites ONG, afin de mettre de l’agroécologie dans leurs programmes de travail et sur le terrain. À travers la pratique mais aussi à travers les principes un peu plus théoriques. Mais oui, si vous avez un projet, vous pouvez faire appel à Cultivate ! Si ce n’est pas nous, on pourra trouver quelqu’un dans notre réseau qui pourra vous accompagner.
Pour conclure, de quoi avez-vous besoin ? Comment peut-on vous rejoindre, vous aider ?
Déjà, il faut continuer à cultiver. C’est la première des choses. Si on n’a pas de jardin, il faut faire tout ce qu’on peut pour avoir un peu de production chez soi.
Sinon, sur les réseaux sociaux, nous accompagner à partager les informations, ou nous envoyer des textes pour publier sur le site web, c’est une façon de nous rejoindre. On n’est pas beaucoup chez Cultivate ! On est cinq ou six mais par contre, on a un réseau d’amis assez important, et chaque consultant rapporte pas mal de connaissances et de réseau.
Ensuite, si vous avez des idées de collaboration, c’est toujours bienvenu !
Pour soutenir et en savoir plus sur Cultivate !
Thanks for the good article, I hope you continue to work as well.